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Comment assurer le déploiement d’une vision stratégique du numérique dans l’action publique

Le 9 octobre 2017, le Club MOA a donné la parole à Amal TALEB, vice-présidente du conseil national du numérique jusqu’au 4 octobre 2017 avec Guy MAMOU MANI. La présidence était assurée jusqu’à récemment par Mounir MAHJOUBI, qui avait lui-même succédé à plusieurs personnalités comme Gilles BABINET.

Avocate de formation, Amal TALEB est spécialisée en droit de la concurrence et en droit de la protection des données personnelles. Après avoir été juriste pour l’association de consommateurs UFC Que Choisir, elle est, depuis Octobre 2016, en charge des affaires publiques de la société européenne SAP.

 

1. Le Conseil Nationale du Numérique (CNNum)

Le Conseil national du numérique est une commission consultative indépendante, dont les missions ont été redéfinies et étendues par un décret du Président de la République du 13 décembre 2012.

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Le Conseil national du numérique a pour mission de formuler de manière indépendante et de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société et sur l’économie. À cette fin, il organise des concertations régulières, au niveau national et territorial, avec les élus, la société civile et le monde économique. Il peut être consulté par le Gouvernement sur tout projet de disposition législative ou réglementaire dans le domaine du numérique.

Il est composé de 30 membres, à parité, 15 hommes et 15 femmes d’excellent niveau et d’origine diverses (start-uper, chef d’entreprise, chercheur,…) qui conduisent la transition numérique au sein de leur organisation et contribuent aux travaux du CNNUm à titre bénévole.

Au cours des deux dernières années, le CNNum a essentiellement travaillé sur une vision stratégique du numérique et non sur une vision opérationnelle.

Le CNNum a plusieurs modalités d’action.

  • La saisine.

Un sujet interpelle un ministre, un membre du gouvernement. Ce sujet est confié aux trente membres pour mener une réflexion dans le cadre d’une politique publique.

Exemples :

Transformation numérique de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce sujet a conduit à la mise en œuvre d’un référentiel numérique pour aider les universités à se transformer tout en préservant leur autonomie.

La croissance connectée des PME. LeCNNum a produit un certain nombre de préconisations sur ce sujet.

Note : Les PME française sont très en retard en matière de mise en œuvre de technologie numérique.

  • L’auto-saisine

LeCNNum considère qu’un sujet doit être traité ou abordé autrement, Il étudie la question et prend [souvent] une position forte, orthogonale avec la position du gouvernement. Exemple : la refonte du fichier TES.

  • Réflexion sur des sujets au long cours.

Exemple : la blockchain, l’intelligence artificielle

 

2. Pistes pour commencer à avoir une vision stratégique du numérique

La « gêne » concernant l’absence de stratégie sur le numérique, devrait être affaiblie par les dernières annonces du gouvernement concernant ce sujet (annonces du 27 septembre 2017 concernant les développements autour du numérique en France, un plan d’investissements de 5 milliards d’euros pour la transformation numérique de la santé et 4 milliards pour la transformation numérique de l’administration soit 9 milliards sur 5 ans)

2.1. Nécessité de sortir des silos

Jeu de go
Jeu de go

Le numérique a cette capacité d’isoler les individus dans leurs compétences et peut faire obstacle à la communication des savoirs et des connaissances. L’érudition des techniciens et des ingénieurs sur leurs domaines de compétences est un domaine de pouvoir par rapport aux autres personnes.

Le silo intellectuel est le pire ennemi d’une vision stratégique, publique ou privée, car cette dernière doit être une vision à 360 degrés qui doit porter le plus loin possible.

Intervient également la « porosité » des individus et des preneurs de décisions face à ces connaissances multiples et contradictoires. C’est le problème des patrons de PME qui ne connaissent pas le numérique car ils n’ont pas le temps de se former ou de s’informer. Pour ces patrons le discours sur le numérique n’est pas « audible »

Pour certains grands groupes la problématique est la même. Où se situe l’acteur qui porte l’innovation ? Comment est-il entendu, trouve-t-il des interlocuteurs réceptifs pour réfléchir sur l’impact de ces nouvelles technologies ? Ces Groupes ont-ils les compétences en interne pour assurer cette transformation ? Ont-elles les bons relais pour assurer cette vision stratégique du Groupe ? Certains groupes ont réussi ce virage à 180 degré, par exemple le Groupe La Poste.

Il faut être conscient que la numérisation accélère la chute des « business models » du passé. Cette réflexion s’applique également au domaine publique avec cette rigidité nominale supplémentaire : celle de la carrière : schématiquement on ne passe pas au service d’à côté avec des compétences radicalement différentes. En conséquence il y a peu de fluidité des savoirs. Il faut une volonté forte pour poser les bases de ce qui pourrait ressembler à une réforme du travail.

En résumé le premier blocage est cette inertie forte manifestée par la difficulté de l’individu à sortir de son environnement

2.2. L’incapacité à expérimenter

Pour tenter quelque chose il faut retrouver une forme d’enfance intérieure, se poser la question « Et si… ».Question difficile à poser dans un environnement ultra compétitif ou ultra valorisant qu’est le monde du travail. L’idée générale est de faire un essai (un petit jeu) sur un sujet aux faibles enjeux, en utilisant une nouvelle technologie pour mieux la comprendre.
Exemple de la Blockchain qui permet de faire des expérimentations sur de petits périmètres et à très faible coût.
Lors du débat, le thème de la difficulté de la généralisation et de l’appropriation, par les personnes, d’une expérimentation des nouvelles techniques a été abordé par Amal TALEB et les participants à la soirée, avec une intervention de Michèle THONNET.

2.3. Le numérique vu comme un simple outil

En raison des inerties propres aux individus, de la « peur » que provoque chez nous le numérique et de notre incapacité à réaliser de petites expérimentations on ne peut pas aborder le numérique autrement que comme un simple outil. C’est uniquement quand on expérimente un outil que l’on entrevoit ses potentialités et que la réflexion constructive peut démarrer.

2.4. Le manque de compétences

Un rapport (en date de 2014) de la commission européenne sur les compétences numériques indique qu’il manquera en France en 2020, 87 000 postes de personnes ayant cette compétence, et 900 000 pour l’union européenne. Il y a un vrai problème en France : l’inadéquation des besoins et la formation.

Amal TALEB cite cette statistique de l’OCDE sur les NEET : dans la classe d’âge 16-19 ans, 6% des jeunes filles et 8% des jeunes garçons ne sont ni à l’école, ni en formation ni au travail. Pour la classe d’âge 20-25 ces taux montent respectivement à 21% et 25%. Ceci dit clairement que 1/5 des forces vives de la nation ne sont ni en formation, ni en entreprise et rencontrent donc de grandes difficultés pour s’insérer dans la société et pouvoir bénéficier de cette évolution numérique.

On constate également qu’il y a de moins en moins de filles dans les filières scientifiques. Sur ce sujet Lionel PLOQUIN est intervenu en montrant le paradoxe actuel entre l’offre pléthorique gratuite et en ligne (Les MOOC – il y a des exemples de personnes qui se sont formées ainsi atteignant l’équivalent du niveau du doctorat) et le déficit de personnes formées. Pourquoi avons-nous alors ce problème ?

Il y a d’une part un décalage du centre de gravité des matières (physique, mathématiques biologie) et d’autre part un problème culturel lié au diplôme. Les français, revendiquent en permanence, dans leurs relations professionnelles, le titre et le diplôme. Inconsciemment ou consciemment on associe le poids du savoir à l’établissement qui nous a enseigné ce savoir, alors que le savoir est une valeur en soi.

Sur ce sujet les participants ont largement contribué au débat qui s’est instauré naturellement

2.5. Le cas des données personnelles

En Europe nous avons une identité numérique à revendiquer. Elle est évidente mais nous n’arrivons pas encore à la mettre en œuvre dans nos outils numériques. L’Europe voit les individus comme des sujets qui disposent de droits dont le premier est la vie privée, c’est-à-dire qui bénéficient à la fois de la singularité et de l’anonymat. Cette disposition n’est absolument pas actée ailleurs, sur la planète, notamment en Chine.

En Europe et particulièrement en France, le droit à une vie privée (et sa protection) correspond à une liberté fondamentale. Cette disposition irrigue l’intégralité du droit français, et en particulier le droit constitutionnel.

A contrario, par exemple, la notion de vie privée en droit américain est un « puzzle ». Elle dépend à la fois du droit fédéral, du droit de l’état dans lequel on se trouve et du champ sectoriel dans lequel on considère la problématique. En conséquence, juridiquement parlant, la vie privée reste secondaire. Une autre différence avec l’Europe est qu’elle est vue exclusivement sous l’angle de l’intrusion des pouvoirs publics dans la vie privée. Ceci n’est pas vrai en ce qui concerne les acteurs du privé ou cette notion d’intrusion est très faible.

En droit français les différentes directives et notamment la mise en place prochaine du RGPD s’appliquera indifféremment aux acteurs publiques et aux acteurs privés. Ces nouveautés devront s’incorporer à notre fonctionnement social, politique et économique.

 

3 Conclusion

AmalTALEB a abordé la conclusion de son exposé sur ce thème : il nous faut réfléchir et refonder un « corpus ». De la même manière que l’on a pensé la guerre (Clausewitz), la paix, la défense des places fortes (Vauban), il nous faut résolument réfléchir à ce que la transition numérique nous apporte et sortir des mythes pour créer un véritable « numérique européen ».

Au départ, c’est une classification négative qui comprend les personnes âgées entre 15 et 29 ans et qui sont sorties du système scolaire.

Elle désigne maintenant des individus introvertis, souvent des hommes, qui ne sont pas insérés dans le système éducatif et qui sont coupés de toute vie sociale ou renfermés sur eux-mêmes.

La soirée s’est terminée par quelques réflexions du Président Jean-Yves LIGNIER, à propos de la confiance que l’on peut avoir dans ces nouveaux systèmes et sur cette interrogation ultime : la transition numérique peut-elle apporter un plus au bonheur des personnes ? peut-elle être au service d’une société meilleure et non pas asservir l’homme ?

 

4. Digital squads

Au cours du débat, Amal TALEB a indiqué une des retombées du sommet de Tallinn qui a eu lieu le 29 septembre 2017 : la création des European Digital Squads.

En marge du sommet numérique européen de Tallinn, en Estonie, qui a rassemblé les dirigeants européens autour des dossiers liés au numérique, des organismes consultatifs nationaux se sont réunis pour lancer une initiative commune : les « European digital squads », Brigades numériques européennes.

L’idée fondatrice est : fluidifier les discussions entre les institutions européennes et les écosystèmes numériques propres à chaque pays. Plutôt que d’attendre que chaque environnement national fasse remonter des problématiques aux gouvernements afin que ces derniers en discutent ensuite entre eux, chaque digital squad aura pour mission de mutualiser les réflexions en amont et se mettre d’accord sur des positions à défendre à l’échelle européenne.

C’est ainsi que se retrouvent associés des entités indépendantes aussi diverses que le Foresight Center estonien, le National Board of Trade suédois, l’Internet Economy Foundation et le think tank iRights.Lab allemand, aux côtés du français CNNum, le Conseil national du numérique.

« Le marché unique numérique est un beau challenge fixé par l’Union européenne. Mais nous devons aller plus loin encore et anticiper le prochain défi. Faire des ponts entre les institutions européennes et les acteurs locaux qui ont une bonne connaissance de terrain, est la clé« , estime Marie Ekeland du Conseil national du numérique, depuis Tallinn. (source: France 24)

Quelques sujets de réflexion déjà en œuvre ont été évoqués par Amal TALEB.


NB: Le compte-rendu intégral est réservé aux adhérents

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